La communauté de Kerguelen : Mission 71

L’Archipel de Kerguelen est un lieu isolé de tout où des personnes d’univers très différents se côtoient et vivent ensemble entre 6 et 14 mois. Pour qu’une base comme Port-aux-français fonctionne toute l’année, il est indispensable d’avoir des corps de métier pour avoir une autonomie presque totale (en dehors de l’apport en vivres et matériel lors des Opérations Portuaires du Marion Dufresne quatre fois par an).

Tout ce petit monde forme une grande famille dont je fais partie depuis novembre 2020 !


On peut séparer les domaines d’activités en dix grands groupes :

Armée de l’air, armée de terre, marine, médecins, infras, volontaires en service civique, CNES, météo, cuisine et le chef de District.

 

L’armée de l’air est en charge de la communication, des réseaux et des courriers/colis postaux. Ils sont trois militaires sur base. Le chef BCR est le Gérant postal également et il est accompagné de deux techniciens télécom. Ces trois personnes (qui sont des amours, il faut le dire) sont nos interlocuteurs lorsque nous sommes sur le terrain. La communication est la partie la plus importante pour pouvoir faire toutes les manips scientifiques en sécurité. 


J’ai eu l’occasion durant deux OP d’aider notre Gérant Postal au tri des colis et courriers qui arrivent pour les hivernants ou pour être tamponnés et renvoyés pour des collectionneurs philatéliques. C’est une mission très importante car c’est un des moyens qu’on a d’être en contact avec le monde extérieur et ça n’est que quatre fois par an ! Donc chaque passage du bateau est associé à une joie enfantine comme si c’est Noël !

Il y a également le chef de l’appro qui fait partie de l’armée de l’air et qui est en charge de la gestion des stocks sur base : matériel pour les travaux, pour le confort (nos chambres, les bâtiments etc.), l’alcool disponible, nos dotations qu’on a récupéré en arrivant à Kerguelen (bottes, vêtements chauds etc.), mais aussi pour les souvenirs (boutique souvenir avec plein de trucs floqués Kerguelen, TAAF).

 

Les militaires de l’armée de terre occupent deux postes importants également : garage et agents chaud-froid.

Le garage est un lieu convivial où nos deux mécanos préférés travaillent dur pour maintenir les voitures, engins de chantiers  en état malgré le malmenage par le climat. C’est aussi eux qui gèrent le stock de vélo et leur entretien. Ca n’est pas évident de faire leur travail avec le matériel à disposition et s’il ne l’est pas qu’il faut commander pour l’avoir plusieurs mois après quand le MD repassera. J’ai eu l’occasion de faire l’apprenti sorcier mécano. C’était trop cool ! Ils sont tellement pédagogues et c’est aussi pour ça que je voulais partir en hivernage, pour découvrir d’autres métiers tellement différents du mien ! Aider à réparer le camion pompier, faire des soudures, utiliser des machines comme la sableuse (machine magique qui dérouille trop bien les fourches des vélos !), la meuleuse etc. J’ai pris la charge de remettre en état 3 vélos, ça m’a pris presque 4 jours, c’était une expérience très intéressante que je recommencerai avec plaisir !

 

Nos deux milis chaud-froid gèrent tout ce qui touche aux canalisations, aux circuits d’eau, au chauffage, aux frigos etc. Ils sont donc comme chaque personne sur base indispensable pour avoir du confort sur base : eau courante potable, eau chaude, chauffage. Que du bonheur ! Je ne citerai pas les prénoms des militaires mais je peux dire qu’on rigolent bien tous ensemble, que ça soit autour d’un terrain de bad, en salle de sport, à totoche (salle commune conviviale) autour d’un verre, d’un thé, ou derrière une manette de console (je redécouvre ça, c’est bizarre mais on est à Ker pour faire des choses qu’on ne fait pas tous les jours et ça en fait partie ^^).

 

Parlons maintenant des militaires de la marine. Ils sont nombreux sur base, ils composent l’équipe de la flottille (bosco et mécano du Chaland qui sont aussi des amis précieux). Ils sont notre taxi pour aller sur les îles du Golfe ! Merci à eux pour tout !!! Ils ont aussi la charge de faire descendre et monter les conteneurs lorsque le chaland vient et aussi de faire l’intermédiaire pour ravitailler la base en gazole (que le Marion Dufresne nous apporte). Ce gazole fait tourner la base en électricité, tourner les véhicules et Ker est aussi une station-service pour les quelques bateaux de pêche autorisés à pêcher dans le secteur qui voudraient faire le plein. On a aussi les deux agents s’occupant de la Centrale qui fournit l’électricité de la base (ça n’est pas rien !). Il y a le pimpon, notre marin-pompier qui est en charge de la sécurité sur base et qui forme des personnes pour l’aider dans cette mission permettant les accidents. Pour finir, il y a un électricien qui travaillent sur plusieurs fronts : électricité de la base, mais aussi sur des travaux comme Galiléo (antennes pour un géoréférencement européen, projet en de construction cette année) et cette année il gère aussi la sécurité électrique du CNES (Centre National d’Etude Spatial).

 

Tant que je parle du CNES, je peux vous dire qu’ils sont trois agents en comptant l’électricien. C’est une unité un peu indépendante car ils ont leur installation autonome et leur boulot même si super intéressant ne fait pas tourner la base (mais j’ai adoré visiter leurs installations et voir comment ils suivent les satellites passent).

 

Sur base, nous avons une équipe en binôme de médecins qui s’occupent de Samuker notre hôpital. Ce sont des personnes géniales qui sont bien sûr indispensables pour notre santé, soigner nos bobos ou juste nous écouter. Ils ont parfois également la mission de soigner des marins/pêcheurs qui passent dans le secteur. Ils ont la responsabilité de gérer les stocks de médicaments, de former des aides médicaux en cas d’opération. Je n’ai pas eu le temps de beaucoup me former car je suis peu sur base mais c’est cool car on peut s’investir encore dans un domaine loin du notre.

 

Nous avons également à Kerguelen une agent météo. Son rôle est très important car la météo est très changeante ici et les prévisions précises qu’elle nous fournit permet de savoir quand on peut transiter sur le terrain, comment organiser nos manips. C’est également indispensable pour le chaland qui doit se mettre à l’abri dans le Golfe en cas de fort vent de Sud (trop exposé au mouillage à PAF).

 

Le groupe des infras est dense. Il est composé d’anciens militaires (et de militaires comme le chef d’équipe), de civils réunionnais et métropolitains. Ils sont en charge dans travaux sur base et sur certaines cabanes. Ils sont polyvalents mais avec des spécificités : couvreur, métallurgique, bout de bois (menuisier), etc. Ce groupe est très hétérogène, c’est cool de vivre avec eux, on peut découvrir des personnes qu’on ne connaitrait/croiserait pas dans notre vie en dehors de Kerguelen. Je profite donc à fond de ces interactions sociales, de ces amitiés naissantes qui sont très fortes quand on vit ensemble des mois.

 

Je vais maintenant parler du groupe dont je fais partie : Les VAT (ancien nom qui reste désignant les VSC = Volontaires en Service Civique). Nous venons soit de laboratoires scientifiques, soit directement de l’IPEV ou encore des TAAF pour celles et ceux travaillant pour la Réserve naturelles des Terres Australes. L’équipe des VAT a un effectif qui varie selon la période de l’année. Durant la campagne d’été (période la plus active de novembre à mars), nous pouvons être une trentaine. Cette année était particulière avec le Covid, nous étions une vingtaine. Une fois l’OP1 en mars passé, nous ne sommes plus que les hivernants, les campagnards d’été sont tous repartis en métropole ou à la Réunion. Actuellement, nous sommes douze sur base. Les postes sont les suivants : Petite fleur (botaniste), ornitho et mammintro (régulation des espèces animales introduites) pour le Réserve naturelle ; Générette (gestion de la logistique des manips terrains), écobios (études de la flore et des invertébrés), géophy (études magnétiques, sismologiques, entretien et réparation du réseau informatique ainsi que de l’électronique de l’IPEV) et ornitho (ma binôme et moi-même) pour l’IPEV. Durant la campagne d’été, nous avons eu également une VSC Patrimoine pour la Res nat, une équipe manchologue et une équipe pop’éléph (suivi d’éléphants de mer en leur posant des balises ARGOS) pour l’IPEV.


Tous ces volontaires sont venus à Kerguelen pour vivre une expérience unique, je suis parti à l’autre bout du monde pour découvrir cette aventure ! Le rythme de l’hivernage est variable selon les missions. Certaines et certains sont plus sur base et d’autres comme moi plus sur le terrain. L’été nous pouvons ne pas nous voir pour certains plusieurs semaines (voire même un mois !) si nos manips nous font rentrer en décalé sur base et repartir avant le retour de l’autre équipe. C’est un rythme que j’ai trouvé euphorisant. On entend parfois que les VSC ont trop de charge de travail mais en réalité, je pense que l’été est fait pour profiter à fond du terrain. Je ne suis pourtant pas un acharné du travail mais j’ai adoré passé des semaines entières à Mayes et permettre à du monde de la base de venir découvrir cette île. 

La période hivernale est plus calme. Nous avons du temps pour tous nous voir, organiser des activités autres que le boulot et participer aussi à des manips qui ne sont pas les nôtres. Comme je le disais plus haut, c’est également l’occasion de faire des choses qu’on ne ferait pas en métropole : aider le Gérant postal, aider au garage, apprendre à travailler le bois etc. Tant d’enrichissement personnel et social.

 

Allez place maintenant aux agents de la cuisine ! C’est, je pense, le corps de métier qui a le plus de pression sur base car il a la responsabilité de nourrir tout le monde. La qualité de leur travail a des conséquences sur l’humeur du groupe. On a la chance d’avoir des cuistots, un pâteux (boulanger-pâtissier) et une agente en salle qui sont génialissimes ! On a des repas de qualité, diversifiés, et tout ça dans la bonne humeur ! Que demander de plus ? J’avoue que c’est un réel plaisir de rentrer sur base afin de profiter du bon pain (on sait en faire en cabane mais on n’a pas le talent de Yann !) et des bons repas et desserts :D

 

Je souhaitais finir par le Disker. C’est le représentant de l’Etat à Kerguelen avec les prérogatives d’officier d’état civil, de commandant d’unité, de douanier et d’officier de police judiciaire. Il est celui qui interagit avec le siège des TAAF mais également avec le préfet.  Son poste est donc au centre du fonctionnement de la base de Port-aux-français et de toutes les manips sur le reste de l’archipel de Kerguelen. Ca n’est pas toujours facile de cerner les métiers présents à Ker mais celui-ci a été pour moi à la fois le plus compliqué et le plus intéressant à étudier. Pour cela, j’ai discuté avec Paul notre disker afin de comprendre quel rôle il joue et de quelle manière. Je vais essayer d’être le plus clair et concis possible. 


Le disker remplie des fonctions diverses : sécurité, planification des activités, suivi des travaux... Il est un peu partout à la fois, ce qui implique qu’il soit toujours disponible, à l’écoute et réactif. Pour être le juste dans ses décisions et ses conseils, il doit avoir des connaissances dans de nombreux domaines : météo, maritime, militaire, territoire (ici Kerguelen). La météo est le facteur pouvant tout faire changer dans le planning d’une journée, d’une semaine. Il faut donc comprendre comment elle peut agir sur l’environnement de l’archipel. De la même manière, les connaissances maritimes sont importantes afin d’être le plus précis dans les rotations chaland même si le bosco est aussi à même de savoir quand il peut naviguer. Un double avis ne fait jamais de mal. Ces connaissances sont aussi nécessaires pour l’approvisionnement en gasoil des bateaux de pêche ou militaires passant dans le secteur. Kerguelen est la seule « station-service » à notre latitude. Et bien sûr les connaissances du territoire sont indispensables pour que nos manips se passant dans de bonnes conditions et qu’on ne parte pas dans des conditions dangereuses (montée des eaux d’une rivière après une grosse pluie par exemple).

 Le disker est donc dans une position particulière entre le chef et le pote. Il essaie d’être attentif aux tracas de chaque hivernant, il gère les tensions et stress pouvant apparaître dans un milieu confiné. J’admire beaucoup comment se comporte Paul avec nous et même si je n’ai aucune comparaison avec un autre disker, je suis heureux qu’il soit le nôtre !

Je finirais avec une phrase qu’il m’a dit avec le sourire en m’expliquant son rôle de disker : « Les crises arrivent toujours juste avant le week-end ».

Et après l’avoir emmené en manip (car oui il peut sortir l’hiver tant qu’un des deux autres chefs de service est sur base), je confirme sa phrase car, comme par hasard, deux bateaux de pêche ont demandé à faire le plein de gasoil pendant notre manip de deux jours ! Ahahah

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