Expédition scientifique avec le GREA-Ecopolaris durant 5 semaines




                                        


Après s’être posé la question du maintien ou non de l’expédition au Groenland, de l’annulation de celle sur la Péninsule de Yamal, les préparatifs priment formes et les sacs furent prêts les jours précédents le départ. L’aventure débuta le 29 juin au départ d’Orly où je rejoignis l’équipe de l’expédition 2020. Je reconnu de loin la famille Gilg (Olivier, Brigitte et Vladimir) devant l’aéroport que j’ai rejoint pour attendre les deux autres membres de l’équipe que je ne connaissais pas : Eric et Dimitri. Présentations rapides, répartition des baguages pour éviter les surplus de bagages et embarquement de ces derniers en croisant les doigts pour que rien ne se perde sur le chemin de l’Islande. Premier conseil de Brigitte, toujours garder dans son sac en cabine une paire de tenue de terrain au cas où.

                                                  

C’est l’excitation pour toute l’équipe de partir loin de la Covid et espérer passer les tests en Islande sans encombres. Pour moi, beaucoup de questions en tête et d’inconnu en vue mais aucune crainte vu la bonne organisation et la prise sous l’aile du petit nouveau par le reste de l’équipe !

Ca y est l’avion décolle, je suis sur un petit nuage (dans tous les sens du terme), j’ai encore du mal à réaliser que si tout va bien dans quelques jours on sera au Groenland.

Après deux grosses heures d’avion, on arrive à Keflavik, aéroport duquel on sera amené à la capitale Reykjavik une fois le test PCR passé. Place donc à ce fameux test de dépistage.

L’organisation est bluffante, d’accord la population est beaucoup moins importante qu’en France et le tourisme est à l’arrêt mais dès notre arrivée à l’aéroport on est pris en charge. Un premier document informatique est à remplir pour avoir un ticket. Ce ticket représente nos espoirs. Un coton tige dans le nez, une larme à l’œil car ça n’est pas très agréable et hop on peut sortir de l’aéroport avec comme consigne de télécharger une application pour faciliter la localisation des cas et d’attendre 24h environ pour avoir le résultat sur notre téléphone.

Arrivés à la gare routière de Reykjavik, Brigitte nous trouve un taxi minibus en 2 minutes et nous sommes très vite en route pour la Guesthouse que Dimitri a réservé pour les trois nuits que nous passerons dans la capitale. Cette petite auberge est vraiment très sympa avec de jolies cartes du pays et de la ville à différentes époques de la civilisation. Et le plus drôle c’est que les propriétaires sont des expatriés français !

Bien sûr, nous décidons mutuellement de ne pas trop être proche des islandais en attendant les résultats. Dès 12h d’attente nous avons les résultats qui sont négatifs, ouf ! On peut alors se promener sans crainte dans la ville. Eric et Dimitri connaissent bien et me font découvrir les coins sympas et un peu l’histoire du pays. Le fish and chips sera notre menu deux des trois soirs dans un petit restaurant où le jeune serveur parle aussi bien français que nous à 17 ans alors qu’il vient de Hongrie !

Le 3ème jour sera à une balade sur la côte avec mes deux compères. Observations de bassins de souffre, des flux naturels de chaleur remontant des sous-sols et de plusieurs espèces d’oiseaux dont le Macareux moine, le Fulmar boréal, l’Eider à duvet et d’autres aussi sympas. Pendant qu’on se promenait, la famille Gilg se démenait pour avoir des attestations officielles islandaises de notre non contamination à la Covid afin de passer la frontière Groenlandaise. Une fois obtenu, nous pouvions prendre un vol domestique de Reykjavik à Akureyri le jeudi 2 juillet afin d’atteindre le nord du pays où nous attendait cette fois le King air qui nous amènerait au Groenland !

    

Akureyri a aussi été l’étape des retrouvailles avec l’équipe du GREA partant avec un Twin otter pour le Groenland et la base de Karupelv un peu plus au sud de notre base.

    

Décollage d’Islande pour le Groenland ! Des paysages époustouflants défilent devant mes yeux d’enfant (mais aussi devant le reste de l’équipe toujours aussi émerveillée de les retrouver). Ca y est, on y est presque, plus que deux petites étapes sur le sol groenlandais et on arrivera à destination avant le soir si tout va bien. Atterrissage à Mestervig où nous sommes isolés dans un espace délimité afin de n’avoir aucun contact avec l’équipe de ce petit aéroport (consignes sanitaires). Nous retrouvons l’équipe de Karupelv et nous rejoignons cette fois leur avion pour « coavionner » jusque Constable point où nous attendent une partie de nos cargaisons respectives qui passent l’année sur cette base militaire.

                                           

Encore un atterrissage qui me fait à chaque fois réalisé qu’on est un peu plus au nord en latitude ! Encore une fois, on garde nos distances avec les Sirius et allons récupérer nos barils d’équipement, de victuailles. Les Sirius sont très accueillants malgré les consignes sanitaires. L’équipe de Karupelv repart en 1er pour atteindre l’île de Traill et nous attendons le retour de l’avion qui nous amènera à Hochstetter. Hop ! Chargement des bagages, décollage et poursuite de l’émerveillement devant des paysages si magnifiques et uniques. Si on m’avait dit il y a 6 mois que je verrai la banquise de l’hémisphère nord maintenant, je n’y aurai pas cru (et pourtant ma mamie m’avait offert une petite figurine d’ours polaire à Noël, c’était sûrement un signe avant-coureur !).

Ca y est le Twin localise la piste mise en place par l’équipe il y a 10 ans et l’atterrissage se déroule en douceur. Premier pied posé sur la toundra de Hochstetter, l’expédition scientifique peut commencer !

Il faut maintenant installer le campement où nous vivrons les cinq semaines à venir. Chacun sa tente et rangement des affaires. Il faut ensuite aller à la hutte des trappeurs où le reste du matériel est entreposé toute l’année, les équipements de sécurité comme la barrière électrique contre les ours polaires et les bœufs musqués, des cages pour les renards polaires et lemmings, des pelles et les deux tentes tepee qui serviront à entreposer du matériel sur le campement et à avoir un coin miam miam.         

La journée s’achève sur un repas chaud avant d’aller faire une bonne nuit de sommeil sous un soleil ne se couchant jamais l’été.

Et oui une caractéristique à cette latitude c’est qu’aux mois de juin-juillet, le soleil ne passe jamais sous l’horizon ! On m’a donc prévenu qu’on allait normalement faire le plein de vitamines D et qu’à un moment on commencerait même à avoir du mal à dormir ! Moi qui suis un gros dormeur, j’attends de voir ça !

                                    

En tout cas, je suis excité à l’idée de commencer le terrain le lendemain et je me réveille assez tôt (9h, quand on se couche au milieu de la nuit c’est tôt oui !)

 

Prêt à attaquer la recherche des nids de Bécasseaux sanderling, variables et autres espèces observables dans la toundra. Olivier me prend sous son aile pour me faire découvrir le terrain, comprendre comment localiser les oiseaux, interpréter leur comportement et ainsi localiser des nids, des familles ou des oiseaux étant uniquement en nourrissage mais qui peuvent avoir des bagues de couleur posées les années précédentes. Tant d’informations que je ne veux surtout pas oublier pour faire de mon mieux et être digne de Nicolas qui a fait le terrain les deux années avant moi. J’ai également la charge d’appliquer une partie d’un protocole de suivis d’œufs artificiels (avec pour but d’évaluer le taux de prédation sur les nids chaque année, et par quel taxon, renard ou labbe).

  

Dès les jours qui suivent notre arrivée le temps se gâte. On ne voit que très peu le soleil tant présent en temps normal et il faut adapter nos heures de terrain en fonction de la pluie et du brouillard. Certaines journées de terrain commenceront qu’à 18h pour se terminer à minuit par exemple.

Olivier et Brigitte annoncent qu’ils n’ont jamais eu ce temps en 10 années de suivi à Hochstetter et nulle part à cette latitude sur les 30 dernières années. Bon tant pis, ça ne sera pas cette années que je ferai le plein de vitamine D mais au moins on dort plutôt bien car le soleil ne surchauffe pas les tentes le matin.

    

Les journées défilent et tout est toujours aussi génial ! L’ambiance est vraiment très agréable, amicale et bienveillante.

Nous marchons autour de 10-15km par jour. Les familles sont localisées régulièrement les 15 premiers jours, les adultes sont bagués sur les nids afin de pouvoir les suivre après l’éclosion avec leurs jeunes. Ces derniers sont aussi bagués couleur. Certains adultes ont  la « chance » de tester des GPS qui permettront à Olivier et Nicolas de faire des analyses sur le comportement des couples en observant s’ils sont biparentaux ou monoparentaux. 


En parallèle, des pièges non létaux à lemming sont installés sur des transects de terriers connus pour estimer la taille des populations et savoir si c’est une année à lemming ou non. Comme il était prévu, un seul lemming sera capturé, on est encore dans une année de creux du cycle de ces rongeurs. Ces petits animaux tout mignons sont au cœur des interactions entre proies et prédateurs. Olivier et d’autres chercheurs ont montré que la dynamique de population de cette espèce sous forme cyclique est corrélée au taux de prédation par les hermines, renards et labbes. Pour faire simple, quand les lemmings se reproduisent bien durant un hiver, le prédateur principal, qui est l’hermine, va prédater énormément pendant le même hiver et va permettre une bonne reproduction au printemps (idem pour les autres prédateurs au printemps). L’année qui suit, la population de lemming se reproduit difficilement à cause des faibles effectifs, et les prédateurs sont quant à eux nombreux. Il leur est donc difficile de se nourrir correctement et les populations de prédateurs vont à leur tour chuter (essentiellement les hermines). Il faudra attendre 3 ans environ pour qu’un nouveau pic de reproduction ait lieu et que les prédateurs en fassent un festin.

Les bécasseaux sont donc étudiés comme étant des proies secondaires des renards et labbes et cherchent à mettre en évidence des corrélations avec les populations de lemmings. Tant de problématiques scientifiques très intéressantes et qui motivent à continuer le terrain dès que le temps nous le permet !

    

Des accalmies de plusieurs jours permettent aux moustiques de faire surface mais la pluie ou le vent viennent rapidement les calmer, ça nous arrange bien. Ce petit insecte peut vite devenir le pire ennemi de l’humain dans ce paysage uniforme qui doit leur faciliter la localisation du sang frais ! J’en ai fait les frais une journée et ma main a mis plusieurs jours à s’en remettre ! Mais bon, ça fait partie des risques du métier et c’est un faible tribu à payer à côté de tout ce que nous offre la toundra. Cela ne nous empêche pas de continuer à faire de belles découvertes comme avec la rencontre d’un lagopède alpin mâle ou une harde de bœufs musqués au loin ou encore un reste de squelette d’ours polaire découvert l’année dernière. Tant de belles observations pour un naturaliste néophyte des milieux polaires comme moi !

      

                                        

L’un des grands moments de cette aventure a été quand Olivier m’a indiqué au loin la présence d’un renard polaire bleu, mon premier ! Quelle émotion !

Dans les semaines qui ont suivis trois renards se sont pris dans les pièges non létaux et ont été équipés d’un collier GPS. Ce furent des moments de proximité privilégiés avec cette espèce si discrète dans son habitat.

    

Ce sont là plupart du temps les labbes à longue queue ou les labbes parasites qui houspillent après les renards qui nous permettent de les repérer.

                                         

En même temps il faut dire que la toundra est un habitat très calme et que chaque bruit est produit par la nature ou nous-même (en dehors des quelques avions qui ont recommencé à passer au-dessus de nous, Olivier et Dimitri s'amusent alors à identifier l'avion au bruit qu'il fait, c'est marrant!). Tel cris est celui d'un plongeon catmarin, ou celui d'un groupe de bécasseaux maubèche survolant le camp. Les jours passent, on trouve de moins en moins de nids et de plus en plus de familles, certaines pour la première fois et d’autres pour la n-ième fois. J'aime continuer à apprendre auprès du reste de l'équipe que ce cris est celui de l'adulte appelant ses petits ou celui-là est une diversion pour qu'on ne les localisent pas. Autour du 19 juillet, une autre observation intéressante fût celle d'empreintes d'ours sur la plage située à 2km du camp! La banquise bougeant au grès des vents, il a dû préférer rester sur terre que de sauter à l'eau entre chaque morceau de banquise. Personne dans l'équipe ne souhaite avoir un ours autour du camp mais j'avoue que je rêve quand même d'en apercevoir un au moins sur un morceau de glace!

Le 24 juillet (je ne sais plus à quel jour de la semaine ça correspond, on oublie un peu le calendrier, hormis quand arrive le dimanche et que Brigitte nous fait plaisir avec des pancakes!), nous avons eu la chance de faire la plus belle observation d'un morse mâle à Hochstetter sur un morceau de banquise à 40m de nous! C'était incroyable !!

    

    

                                         

Nous sommes le 27 juillet, c'est la 3ème journée de pluie consécutive. Je n'ai jamais autant lu en une si petite période! On passe du temps dans la tente tepee à manger, discuter, rigoler, ça passe le temps et on essaye de sortir marcher un peu dès que une accalmie se présente (c'est à dire peu de fois!)

Le soleil est annoncé pour demain mardi 28, on l'attend avec impatience!

Le 30, nous prenons le chemin de Khulus, où une ancienne hutte de trappeur très mignonne qui va être rénovée l'année prochaine se trouve. Encore des paysages magnifiques, un canyon avec des nuances de rouges comme je n'avais jamais vu. Que du bonheur!

La météo restant instable, on décide de ne pas partir 3 jours en excursion mais 2 fois une journée. La 2ème se déroule le 1er août en montant au sommet le plus haut autour du camp. Point de vue imprenable sur les fjords, que du régale !

Le lendemain, nous allons prospecter une dernière fois à la recherche de familles de bécasseaux sur la zone menant au Kap ring, secteur où il y a beaucoup de mouettes de Sabine. Nous avons vu une nouvelle espèce pour cette année, c'est la mouette tridactyle! Même quand on pense qu'on ne verra plus rien de nouveau, la nature nous fait mentir.

 En revenant de cette dernière sortie, nous faisons des navettes du camp à la hutte pour ramener des caisses de matériel et de nourriture qui passeront l'hiver ici.

Aujourd'hui, le 3 août, nous sommes à la veille du départ d'Hochstetter. La nuit fût perturbée pour bon nombre d'entre nous car à notre plus grande joie le soleil a fait son grand retour et nous avons profité des couleurs offertes par le soleil de "nuit", c'est-à-dire quand le soleil est au plus bas. Après un bon petit déjeuner, c'est une grande journée de rangement, de voyages à la hutte, de nettoyage pour laisser le moins de traces de notre passage dans la toundra (même si le renard a sûrement emporté une ou deux boîtes de conserves de sardines). Toujours avec le soleil, on en profite pour tout faire sécher et on croise les doigts pour que demain on puisse démonter les tentes sans pluie avant que le Twin vienne nous chercher dans l'après-midi.

Nous prenons le dernier repas du soir de manière sereine, il ne reste que nos tentes à démonter et la clôture électrique. Sauf qu'on n'avait pas prévu à l'ouverture des mails qu'on en recevrait un des militaires danois nous annonçant qu'ils allaient essayer de passer à Mustervig le 4 au matin pour réussir à se poser avec le Hercules et repartir avant les 3 jours de pluie. Le problème c'est que cet avion devait être notre porte de sortie le 6... Olivier et Brigitte commencent à réfléchir à comment faire, qui contacter car notre Twin est prévu pour demain 4 août pour nous amener à Mustervig, ce qui veut dire qu'on arrivera après que le Hercules soit reparti!

Allez, mails envoyés et on attend. On décide alors de démonter la dernière tente tepee pour éviter qu'elle prenne la pluie et être prêt à partir au cas où si un avion nous est envoyé plus tôt.

Le 4 au matin, ça y est la pluie s'est installée sur tout l'horizon, on sait qu'on devra plier les tentes mouillées et les ressortir à Mustervig. Les mails sont chargés, et on apprend que le Hercules est immobilisé au Danemark donc ils décalent leur vol au 10. Notre Twin est prévu vers 15h. On va y aller par étape et attendre la suite. Prochain point une fois arrivés à Mustervig, il faudra voir si on attend le Hercules ou si on nous propose un autre avion pour l'Islande.

Avion dérouté à Daneborg, c'est le dernier mail que nous avons reçu après celui annonçant leur décollage. On ressort donc les matelas de mousse et les duvets. Ce soir on mangera à la hutte en espérant une amélioration du temps.

Nous sommes le 5, il pleut mais le plus embêtant est le brouillard qui ne permet pas une visibilité si l'avion ne descend pas en razmotte pour voir le camp. Un essai est fait par le Twin, nous l'entendons au loin mais nous ne l'avons pas aperçu alors que ça s'était un peu dégagé. Nouvelle soirée à la hutte, repas et jeux de société sont au menu. La météo annoncée pour demain est bonne, on croise à nouveau les doigts!

Ça y est le 6 est la bonne journée ! Le Twin nous est annoncé en vol vers nous, plus qu'à espérer que les nappes de brouillards ne les bloquent pas!

Et hop ils sont là pour nous récupérer. Deux sentiments s'opposent, d'un côté le soulagement car nous vivions depuis 2 jours de façon très précaires sans terrain donc les journées étaient longues et d'un autre côté une pointe de tristesse car c'est la fin d'une superbe aventure que je referai sans hésiter!!

Allez, on dépose le matos à Mestersvig, on récupère l'équipe de Karupelv à Constable point et on rentre en Islande. La bonne nouvelle est qu'on a le vol entre Akureyri (au nord de l'Islande) et Reykjavik. Il ne reste plus qu'à trouver en vol pour Paris et ça sera le grand retour à la civilisation !

Le retour à Paris sera le lendemain, le 7 août, après une dernière nuit courte à la Guesthouse. Canicule annoncée à Paris, on n’est pas pressé d’arriver à la capitale et de prendre le métro. Allez, derniers aurevoirs avec Eric et Dimitri et chacun prend son train pour rentrer chez soi. Ca ne sont pas des adieux car on se refera ça dans deux ans espérons !

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